Des caresses dans le tiroir à chaussettes

Voilà ! Quelques extraits d’une série de 20  textes…  

Quand j’étais petite, mes culottes étaient pliées en trois, et mes tee-shirts bien repassés. J’aimais l’odeur de la lessive cachée dans ma chemise de nuit bleue. Les caresses n’avaient pas le temps de me dire mille fois je t’aime. Mais lorsque je me demandais si ma maman m’aimait, c’est dans le tiroir à chaussettes que je les retrouvais.

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Je passe la tête puis les bras dans le tricot de peau qui couvre bien le bas des reins, qui protège de tous les maux. Entre la culotte et le pull s’engouffreraient les courants d’air, les vents marins et les bandits de grands chemins, j’attraperais la mort et tout ce qui passe si je n’avais pas mon petit bateau.

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A midi tante Marie apporte à la maison un carton de vêtements donnés. Des trop petits, des trop grands, des qu’on ne mettra plus… Je choisis un pull à manches courtes bleu turquoise. Je me sens bien dedans. J’ai le droit de le mettre tout de suite pour aller à l’école ? En classe, la maîtresse me complimente devant les autres. Nadia, elle a des vêtements neufs tous les jours et la maîtresse ne lui dit rien. Moi, c’est pas pareil. A cause du pull et du compliment, j’attrape la honte d’être pauvre.

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Les vêtements parfois on les essaie dans des cabines. Maman pousse ses trois enfants dans le car. Elle nous emmène à Nice faire les grands magasins : Mamie a donné un coup de pouce pour la rentrée des classes. Derrière le rideau je passe la jupe écossaise rouge. Maman est contente, au moins je ressemble à quelque chose. Au début il y aura juste un petit espace entre le bas de la jupe et mes chaussettes en nylon. L’année suivante, tout le monde pourra voir mes deux genoux blancs. Les vêtements, quand on grandit, ça nous déshabille.

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Je vais passer les vacances chez Papy et Tante Hélène qui n’est pas ma mamie. Il faut que tout rentre dans ma valise, que les vêtements bien serrés n’aient plus la place de bouger. Maman a choisi pour Papy six grands mouchoirs bleus coton et lin. L’un après l’autre elle les déplie et les replie. Elle a trouvé un tablier de cuisine pour Tante Hélène : c’est le paquet rouge, tu nous diras bien si elle est gentille avec toi. Pour que je sois présentable, maman m’a acheté un pantalon en velours bleu ciel et le sous-pull assorti. Avec, je n’irai pas me traîner n’importe où : Je rincerai la salade du jardin et je jouerai à la belote.

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Le maillot de bain est posé sur mon lit. A cause de l’étiquette SOLDES dans le dos, c’est un vêtement « pas le choix tu le mets ». Je ne proteste pas. Pourtant, sans l’essayer, je me doute bien que ça ne va pas aller. Maman enlève les deux coques pour la poitrine. Voilà ! Tiens toi un peu droite ! Sur la plage, j’aurai la poitrine vide. Ils veulent que poussent là-dessous les seins, mais c’est pas obligé. Cet été encore, armée d’une fourchette, je rentrerai victorieuse de la pêche aux oursins.

photo Alain Laboile

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